Maher Ben Salem, CEO de « Keejob », à La Presse : «Nous visons 1.000 recrutements cette année»

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«Keejob», acteur incontournable dans le secteur de l’emploi avec plus de 15 ans d’expérience, a organisé les 3 et 4 octobre 2024 la quatrième édition des « Rendez-vous de l’Emploi », un événement qui met en avant la rencontre entre recruteurs et candidats, tout en intégrant cette année deux axes essentiels : la responsabilité sociale des entreprises et la maîtrise des langues. Cette initiative s’inscrit dans une démarche visant à favoriser l’employabilité des jeunes diplômés et à répondre aux besoins évolutifs du marché du travail tunisien. Maher Ben Salem, CEO de Keejob, nous en dit plus dans cette interview.

Pour cette nouvelle édition des « Rendez-vous de l’Emploi », « Keejob » cherche à mettre en avant la responsabilité sociale des entreprises. Pouvez-vous nous parler de cet événement ?

« Keejob », en tant que plateforme d’emploi avec 15 ans d’expérience, regroupe aujourd’hui plus de 500.000 CV et collabore avec 35.000 entreprises. En 2019, nous avons décidé d’organiser cet événement pour permettre des rencontres physiques entre les recruteurs et les candidats. Nous avons senti qu’il était essentiel de compléter les échanges virtuels par des rencontres en face-à-face. Nous en sommes aujourd’hui à notre quatrième édition, avec environ 40 recruteurs présents, contre 25 lors de la première édition. Le nombre de visiteurs, quant à lui, est passé de 2.800 à un objectif de 6.000 cette année.

Et pour assurer la participation des candidats à cette rencontre, nous avons mis en place une plateforme dédiée à l’événement, event.keejob.com, qui permet aux participants de s’inscrire en amont. Cette année, nous avons atteint 13.500 inscriptions, dépassant ainsi notre objectif initial de 12.000. Et pour les recruteurs, l’intérêt est aussi double : ils peuvent recruter sur place et promouvoir leurs activités et projets de recrutement.

Nous avons une large diversité de secteurs représentés : banque, retail, agroalimentaire, industrie pharmaceutique, automobile, aéronautique, télécommunications, et bien d’autres. Ces entreprises sont présentes pour échanger sur les métiers, collecter des CV, et guider les candidats dans leur parcours professionnel.

Pourquoi avoir choisi de lier la RSE et la maîtrise des langues?

Tout d’abord, il est important de souligner que, pendant ces deux jours, des experts en ressources humaines animent des conférences et des ateliers sur des sujets variés comme les droits sociaux, la rédaction de CV, la préparation aux entretiens, et même le recrutement international. Cette année, nous avons mis l’accent sur deux thèmes principaux : la responsabilité sociale des entreprises et l’importance des compétences linguistiques pour l’employabilité.

En effet, ce choix se justifie par le fait que la responsabilité sociale des entreprises est devenue une priorité dans de nombreuses organisations. Toutefois, il est important de différencier la RSE d’autres actions comme le mécénat. La RSE est une démarche durable, qui implique des actions ayant un impact social et économique à long terme.

Concernant les langues, nous avons constaté un déficit important de maîtrise linguistique chez les jeunes diplômés en Tunisie. Près de 70 % d’entre eux ont un niveau insuffisant en langues étrangères, ce qui constitue un frein majeur à leur employabilité. C’est pourquoi nous sensibilisons les entreprises à investir dans la formation linguistique pour renforcer les compétences des jeunes.

La question des soft skills est aussi très évoquée. Quelle est votre vision à ce sujet et pensez-vous que le système éducatif tunisien prépare adéquatement les jeunes au marché du travail ?

Les soft skills, ou compétences comportementales, sont essentielles aujourd’hui, au même titre que les compétences techniques. La maîtrise des langues fait partie des soft skills, car elle est directement liée à la communication. Peu importe le niveau technique d’un candidat, s’il ne sait pas communiquer efficacement, cela peut être un obstacle majeur à son insertion professionnelle, surtout à l’international.

Pour le système éducatif tunisien, malheureusement, il ne répond pas toujours aux besoins du marché. Nous observons des diplômés qui peinent à rédiger correctement ou à s’exprimer en langues étrangères, alors que ces compétences sont cruciales. De nombreux jeunes n’atteignent pas le niveau requis pour postuler à des offres d’emploi, même s’ils possèdent les diplômes. C’est un véritable défi auquel nous devons faire face.

Vous parlez souvent des métiers en forte demande. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Il y a effectivement des secteurs où la demande est forte, notamment dans les centres d’appels, où 30.000 postes sont disponibles en Tunisie. Pourtant, de nombreux jeunes hésitent à intégrer ce secteur, le percevant comme difficile, alors qu’il s’agit d’une étape cruciale pour acquérir de l’expérience et renforcer leurs compétences.

Et pour les jeunes diplômés en quête de leur premier emploi, je leur dis que ce dernier est souvent plus déterminant que le diplôme lui-même. Il constitue une expérience fondatrice dans un parcours professionnel. C’est pourquoi il est crucial de saisir les opportunités, même si elles semblent modestes au départ. Ce premier pas dans le monde professionnel est indispensable pour progresser et construire une carrière.

Aujourd’hui, je milite pour que les jeunes, même s’ils ne trouvent pas immédiatement un emploi dans leur domaine d’études, acceptent des postes dits « de base ». Travailler, par exemple, dans la vente ou dans un centre d’appels permet d’acquérir les fondamentaux de la communication, de mieux comprendre le fonctionnement du marché et de se former à des métiers clés. C’est souvent une porte d’entrée vers d’autres opportunités, soit dans la même entreprise grâce à une gestion de carrière évolutive, soit ailleurs.

Mais là aussi, il faut dire qu’il y a beaucoup de jeunes diplômés qui préfèrent attendre un emploi dans leur spécialité et refusent de travailler en dehors de leur domaine d’études. Il faut comprendre que le monde du travail a changé. Il n’y a plus un métier unique comme autrefois. Les universités forment à des disciplines qui ne garantissent plus d’employabilité directe. Prenons l’exemple d’un technicien en géomatique ; à part l’Etat, il n’y a que très peu d’employeurs dans ce secteur. Alors pourquoi ne pas envisager d’autres opportunités ? Ce n’est pas parce qu’on a étudié une discipline qu’on doit y rester toute sa vie.

Il y a donc un besoin d’ouverture d’esprit pour les jeunes diplômés?

Exactement. Aujourd’hui, obtenir un diplôme, c’est aussi s’ouvrir à de nouvelles perspectives. Après trois, quatre ou cinq ans d’études, l’important est de développer une capacité d’adaptation. Si vous avez étudié les mathématiques et que vous ne trouvez pas d’emploi dans ce domaine, pourquoi attendre un poste spécifique ou un concours ? Il faut être prêt à accepter d’autres expériences et élargir ses horizons.

Car commencer par un poste de vendeur, par exemple, permet d’acquérir des compétences essentielles comme le contact humain et la gestion des clients. Cela ouvre des portes et peut même créer des connexions avec des personnes influentes dans le même secteur. Un jour, vous pourriez être remarqué par un client qui pourrait devenir un futur employeur. Le parcours du PDG de Nike en est un exemple. Il a débuté comme vendeur, et aujourd’hui, il dirige l’une des plus grandes entreprises mondiales. Il y a énormément d’exemples comme celui-ci.

Vous avez parlé d’un espace de formation au salon. Est-il possible d’en savoir plus ?

Nous avons mis en place un espace dédié au coaching et à la formation. En plus de rencontrer les 40 recruteurs présents, les jeunes auront l’opportunité de se préparer aux entretiens, corriger leurs CV et améliorer leur présentation. Une équipe de coachs sera sur place pour les accompagner et les guider. Ils pourront même réserver un créneau pour des simulations d’entretiens, ce qui est une première cette année.

Mais là, il est important de mentionner qu’on ne parle pas d’un salon d’emploi inversé, où ce sont les recruteurs qui vont vers les candidats. C’est un salon d’emploi classique, mais boosté par notre plateforme. Les exposants sont les recruteurs, et les visiteurs sont des demandeurs d’emploi. Nous attendons une majorité de jeunes diplômés, environ 55 à 60 %, suivis de 20 % de chômeurs et 15 % de personnes en quête de reconversion professionnelle. Et pour cette année, nous visons 1.000 recrutements grâce au salon. Nous espérons atteindre cet objectif et offrir à un grand nombre de jeunes leur première opportunité professionnelle.

Quels conseils donneriez-vous aux jeunes professionnels ?

J’encourage l’Etat tunisien à prendre conscience des lacunes linguistiques actuelles chez nos jeunes diplômés. Si ces derniers n’ont pas un bon niveau en langues, la faute est partagée. Ils n’ont peut-être pas assez appris, mais pourquoi ? Parce que l’Etat n’a pas mis en place des mécanismes adéquats. L’Etat doit créer une seconde chance pour que les jeunes puissent se former. Cela pourrait prendre la forme d’un prêt d’honneur, qui permettrait de financer leur formation, puis d’être remboursé via leur futur emploi. C’est un système vertueux et efficace.

Et j’insiste sur le prêt d’honneur, car donner quelque chose gratuitement n’a jamais vraiment fonctionné. Il faut responsabiliser les jeunes. Avec un prêt d’honneur, ils pourront suivre une formation et devenir employables. Ensuite, ce prêt pourrait être remboursé par l’employeur, une fois qu’ils sont embauchés. Ce type de mécanisme peut créer un cercle vertueux pour améliorer l’employabilité des jeunes.

On constate que beaucoup de jeunes rêvent de partir à l’étranger. Quelle est votre analyse de ce phénomène ?

Effectivement, d’après nos statistiques, 95 % des jeunes rêvent de quitter le pays, que ce soit pour l’Europe, l’Amérique du Nord ou les pays du Golfe. C’est une réalité. Mais, si vous souhaitez partir, peu importe votre métier, il y a une priorité absolue : maîtriser au moins une langue étrangère à un niveau B2, voire deux langues. Si vous avez cela, combiné avec un emploi, votre CV devient attractif presque partout. Le monde est globalisé, et la maîtrise des langues est devenue un atout indispensable pour une bonne carrière.

Que ce soit dans le public ou le privé, les statistiques sont les mêmes. Chaque année, nous évaluons environ 1.000 personnes et nous constatons que les résultats sont constants : une moyenne de 6 à 8 sur 20 en anglais ou en français. On dit que cette génération est ‘’anglophone’’, mais dans les faits, ce n’est pas vraiment le cas. Certains maîtrisent peut-être mieux l’anglais que le français, mais globalement, le niveau reste faible.

Ceci reste un problème mondial. Les jeunes lisent de moins en moins, et cela affecte évidemment leurs compétences linguistiques. Peut-être faudrait-il réintroduire des clubs de lecture ou d’autres activités similaires pour encourager la lecture et le développement des compétences de communication. Il est crucial de réformer notre système éducatif pour l’orienter davantage vers l’ouverture d’esprit, la communication et les interactions humaines, dès le plus jeune âge.

Vous en êtes à la 4e édition du salon. Quels changements avez-vous constaté au fil des années ?

Avec chaque édition, nous avons gagné en expérience, tant au niveau de la logistique que dans la fidélisation des partenaires. Le salon est devenu un rendez-vous incontournable pour de nombreux recruteurs. Cette année, nous avons ajouté un espace dédié au coaching pour aider les jeunes à se préparer aux entretiens et à corriger leurs CV. Chaque année, nous essayons d’apporter quelque chose de nouveau.

Du côté des jeunes, ceux qui trouvent un emploi sont, bien sûr, satisfaits. Ceux qui n’ont pas encore trouvé peuvent être déçus, mais nous essayons de les aider en leur envoyant des conseils pour améliorer leur CV. Beaucoup nous remercient, car les deux journées du salon leur permettent d’écouter des experts et d’acquérir de nouvelles connaissances. Nous jouons aussi un rôle social en restant proches de nos recruteurs et des candidats.

Mais dans l’état actuel des choses, l’Etat doit agir de manière plus proactive pour faire le lien entre l’éducation et le marché de l’emploi. Il serait pertinent de développer des diplômes et des formations courtes en co-construction avec les besoins du marché. Actuellement, nous formons trop de diplômés dans des filières qui ne correspondent pas aux besoins réels. Il est nécessaire donc de réorienter les jeunes vers des métiers demandés, notamment dans la formation professionnelle.

Par ailleurs, j’aimerais attirer l’attention sur un autre point important, les métiers manuels, souvent négligés. Nous avons longtemps valorisé les diplômes universitaires au détriment des métiers manuels. Aujourd’hui, ces métiers sont mieux rémunérés que certaines professions requérant un Bac+3 ou Bac+5. Nous voyons des soudeurs ou des mécaniciens être très demandés à l’échelle mondiale. Nous devons encourager la reconversion professionnelle et promouvoir ces secteurs en Tunisie.

En résumé, quel est votre message aux jeunes ?

Mon message est simple : sortez de votre zone de confort. Si vous êtes au chômage, ne restez pas passifs en attendant un poste dans votre filière. L’Etat doit également aider à proposer des formations pour que chacun puisse avoir une seconde chance. Nous avons formé trop de gestionnaires et pas assez de techniciens. C’est un problème global, mais nous devons y remédier en nous adaptant aux besoins réels du marché.

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